Le 23 décembre 2021
Madame,
Je vous remercie d’avoir invité des représentantes et représentants de l’ACPD à participer au groupe de discussion sur le projet de développement d’un profil de compétences le 12 novembre 2021. Nous vous avons alors fait part de quelques réflexions préliminaires et nous avons promis de faire un suivi à la fin de l’année.
Comme vous le savez, nous avons des préoccupations au sujet du profil de compétences et du processus qui a été adopté jusqu’à maintenant.
Nous sommes bien conscients de la nécessité de renouveler le processus du CNE et nous appuyons toute démarche à cette fin. Nous reconnaissons que le nombre croissant de nouveaux venus dans la pratique du droit qui n’ont pas reçu une formation en droit au Canada est un défi de nature réglementaire pour tous les ordres professionnels de juristes. Toutefois, notre préoccupation, en tant qu’organisme représentant les membres du corps professoral en droit canadiens, se rapporte au fait que ce que vous proposez aura inévitablement un impact sur l’Exigence nationale pour les facultés de droit canadiennes. Même si nous avons remis en question la présupposition selon laquelle le processus du CNE aura nécessairement un impact sur l’Exigence nationale, l’animateur du groupe de discussion a explicitement affirmé cette corrélation. Nos préoccupations, que nous précisons ci-dessous, portent sur les lacunes que nous avons identifiées concernant le contenu et le processus d’élaboration du profil de compétences et qui auraient une incidence sur les facultés de droit canadiennes.
Premièrement, l’ACPD reconnaît l’importance d’offrir une formation continue aux avocates et avocats, comme le font la plupart des ordres professionnels de juristes. Pour nous, cela signifie qu’il y a au moins trois niveaux dans la formation en droit : la formation universitaire, la formation préalable à l’admission au Barreau (ou l’équivalent) et le développement professionnel continu après les deux formations précédentes. Pour que chacun de ces niveaux fonctionne, il doit y avoir une collaboration respectueuse entre les ordres professionnels de juristes et le corps professoral des facultés de droit. Malheureusement, le processus qui a été adopté pour développer le profil de compétences pour les étudiantes et étudiants du CNE ne fait pas preuve d’une telle collaboration. D’après ce que vous avez partagé avec nous, ce processus est en cours depuis au moins deux ans, sans que des échanges formels avec les facultés de droit canadiennes ou les organismes représentant le corps professoral en droit aient eu lieu. De plus, vous avez indiqué que vous espérez finaliser le profil en février ou mars 2022, laissant ainsi croire que vous considérez que le gros du travail est maintenant terminé. Nous croyons que toute consultation à cette étape du processus sera trop limitée et arrivera trop tard pour être utile. Ceci est d’autant plus vrai étant donné l’impact potentiel sur l’Exigence nationale. Selon nous, les facultés de droit canadiennes, les professeures et professeurs de droit qui ont une expertise sur le sujet et les associations pertinentes de professeures et professeurs de droit auraient dû être impliqués d’une façon plus importante et bien plus tôt dans le processus. Nous sommes aussi inquiets que le travail en cours sur le profil de compétences soit effectué sans consulter la clientèle et les communautés, spécialement les communautés actives pour favoriser l’accès à la justice, sur les compétences que les avocates et avocats devraient posséder. Comme nous l’avons indiqué dans notre dernier paragraphe, il faut un réexamen complet et un réajustement du processus et des objectifs du projet.
Deuxièmement, notre principal problème se rapporte à la création d’une liste extrêmement détaillée de compétences de niveau 1. La Fédération dictera ainsi aux facultés de droit, qu’elles soient au Canada ou ailleurs, ce qu’elles doivent enseigner aux étudiantes et étudiants en droit. Les facultés de droit ont une mission universitaire qui diffère de la mission des ordres professionnels de juristes. Une des principales responsabilités des facultés de droit, parmi bien d’autres, est d’aider leurs étudiantes et étudiants, par le biais d’un éventail de perspectives et d’approches pédagogiques, à développer un esprit critique face à la loi et au système juridique. Cependant, la question de l’esprit critique est pratiquement absente de votre liste de compétences. Le but semble plutôt de s’assurer que les étudiantes et étudiants seront « prêts à pratiquer », d’un point de vue très technique. Toujours au sujet de l’idée d’un continuum d’apprentissage, les facultés de droit reconnaissent que leurs programmes posent les bases fondamentales de la pratique du droit, tant du point de vue des connaissances, des habiletés que des valeurs nécessaires pour pratiquer le droit avec compétence. Mais les facultés de droit ne se limitent pas à ces éléments de base et ne peuvent pas en faire plus en cette matière. La formation de base donnée dans les facultés de droit prépare les diplômées et diplômés à faire la transition vers la pratique, mais ne vise pas à les rendre prêts à pratiquer sur-le-champ, comme supposé dans la vision étroite et limitée exprimée dans le projet de profil de compétences. À notre avis, il s’agit d’une tentative de modifier unilatéralement les objectifs et le fonctionnement des facultés de droit, notamment en leur transférant les responsabilités de longue date de la profession juridique en matière de formation pratique transitoire.
Troisièmement, l’identification de onze domaines, chacun avec de multiples sous-compétences, créera de nombreux problèmes :
- Si le profil et toutes ses composantes s’appliquent aux facultés de droit, il dictera presque toute l’offre de cours en droit. Les étudiantes et étudiants devront suivre un nombre important de cours obligatoires à chaque année d’études. Ainsi, le profil limitera le choix de cours à option. Si les étudiantes et étudiants doivent acquérir ces compétences, il ne restera que peu de place pour explorer l’éventail des cours offerts, tant sur le plan du contenu que sur le plan pédagogique, actuellement disponibles dans les facultés de droit canadiennes. Récemment, pour répondre aux demandes des étudiantes et étudiants, plusieurs facultés de droit ont commencé, par exemple, à offrir des spécialisations/certificats dans certains domaines du droit. Pour obtenir un tel certificat, les étudiantes et étudiants doivent suivre un nombre déterminé de cours dans un domaine donné. Il serait impossible de faire une telle chose si elles doivent se conformer au profil de compétences tel que conçu actuellement.
- Le profil de compétences présuppose une avocate ou un avocat unidimensionnel, car l’accent est mis sur la préparation de personnes qui correspondent à une vision traditionnelle de la pratique générale en solo. La pratique indépendante représente une part extrêmement importante de la profession juridique, et les avocates et les avocats qui s’y adonnent sont souvent au front pour permettre l’accès à la justice. Cependant, même la pratique indépendante est hautement hétérogène et de plus en plus spécialisée, sans compter que plusieurs diplômées et diplômés des facultés de droit ne prennent pas cette voie du tout. Ils travaillent au sein de grandes compagnies, entrent au service de l’État, travaillent à l’interne, etc. Par surcroît, dans tous ces environnements de pratique, on assiste à un changement constant du contenu, des processus et des approches juridiques — qui sont le point central des compétences — d’où l’importance de développer une pensée critique comme le font actuellement les facultés de droit.
Nous croyons aussi que du soutien doit être offert aux avocates et avocats qui veulent faire de la pratique indépendante et que les facultés de droit peuvent jouer un rôle important pour donner les bases de ce type de pratique. Les facultés de droit doivent offrir une formation de base, tout en donnant également les fondements d’une formation plus large adaptée aux multiples environnements de pratique et en rapport avec les contextes variés au sein desquels nos diplômées et diplômés travailleront.
- Le profil de compétences fera obstacle à l’innovation et à la modernisation des programmes d’études des facultés de droit. Ces dernières sont très au fait que le droit et la profession juridique sont en transition au niveau local, national et international. Nous évaluons et révisons constamment notre offre de cours pour nous assurer que nos étudiantes et étudiants reçoivent une formation juridique qui réponde à un monde en constante évolution. La microgestion et la rigidité inhérente au profil de compétences ne sont pas appropriées pour une vision souple et prospective de la nature et de la fonction d’une formation universitaire en droit.
- Le profil de compétences constituera une approche à la pièce de la formation juridique, selon lequel chaque faculté de droit devra offrir à peu près le même programme d’études. Depuis quelques années, nous avons vu une diversification grandissante des facultés de droit au Canada, chacune poursuivant sa propre vision. Plutôt que d’embrasser la diversité, le profil favorise l’uniformité et exige la conformité.
- En imposant aux étudiantes et étudiants un nombre important de cours obligatoires, les programmes conjoints avec d’autres disciplines telles que l’informatique, les études autochtones, le travail social, les sciences humaines, le génie et la gestion des affaires seront dramatiquement affectés. Cette approche aura aussi un impact négatif sur les possibilités pour les étudiantes et étudiants d’étudier à l’étranger pendant un semestre. Les programmes conjoints, tout comme les programmes d’échanges, requièrent une certaine flexibilité quant au choix de cours des étudiantes et étudiants.
Comme nous l’avons mentionné précédemment, nous croyons que la relation entre les ordres professionnels de juristes et les universités devrait être collaborative et coopérative. À cet effet, nous suggérons que les prochaines étapes soit : 1) la création d’un nouveau profil de niveau 1 qui intègre mieux les objectifs de la formation juridique universitaire et qui soit le résultat d’un partenariat entre les facultés de droit et les ordres professionnels de juristes et 2) de fusionner les niveaux 1 et 2 et de s’assurer que les ordres professionnels de juristes fournissent des occasions de formation transitoires avant l’admission au Barreau, en collaboration, au besoin, avec les facultés de droit intéressées (comme le programme de pratique intégrée en Ontario). De plus, afin d’assurer la formation continue, nous encourageons les ordres professionnels de juristes, peut-être en partenariat avec les facultés de droit, à concevoir et à offrir des programmes de développement professionnel rigoureux et obligatoires.
Nous espérons que ces commentaires présentent clairement les préoccupations de l’ACPD et que nous pourrons en discuter prochainement avec la Fédération.
Richard Devlin et David Wiseman,
Au nom de la direction de la CALT/ACPD
Original:
December 23, 2021
Dear Ms. Villeneuve,
Thank you for inviting representatives of CALT to participate in the focus group on the FLSC’s Competency Profile Development project on November 12, 2021. We shared some initial thoughts at the meeting and promised we would follow up by the end of the year.
As you are aware, we have concerns about the Competency Profile and the process that has been adopted to this point.
We are very much aware of, and in agreement with, the need for the renewal of the NCA process. We recognize that the increasing number of entrants to the practice of law who have not received a legal education in Canada is a regulatory challenge for all law societies. However, our concern, as the representative organization for Canadian law professors, is that the solution that you are proposing will inevitably have an impact on the National Requirement for Canadian law schools. While we question the presumption that the NCA process should necessarily impact the National Requirement, the facilitator in the focus group explicitly posited this inter-relationship. Our concerns, which we detail below, focus on what we see as deficiencies in content and process of developing the Competency Profile from the perspective of how it may impact Canadian law schools.
First, CALT is committed to the idea of life-long learning for lawyers, as are most law societies. For us this means there are at least three stages of legal education: academic training, pre-call bar admissions processes or their equivalent, and post-call continuing professional development. For each of these stages to work, there must be respectful collaboration between the law societies and the legal academy. Regrettably, the process that has been adopted to develop the Competency Profile for NCA students falls short of respectful collaboration. From what you have shared with us, it has been ongoing for at least two years without any formal communications with Canadian law schools or bodies representing the legal academy. Moreover, you have indicated that your hope is to complete the profile by February or March 2022, thereby indicating that you believe that most of the work has now been done. Our concern is that any consultations at this stage are too little and too late to be meaningful. This is especially so given the potential impact on the National Requirement. In our view, Canadian law schools, individual law professors with subject-matter expertise, and relevant associations of law teachers ought to have been integrated into this process in a more substantial way at a much earlier time. We are also concerned that the current work on the competency profile appears to have overlooked the need to consult with clients and communities, especially justice-seeking communities, about what competencies lawyers ought to have. As we will indicate in our final paragraph what is required is a fundamental rethink and reset of both the process and the aspirations of the project.
Second, our core concern is that by identifying an extremely detailed list of level one competencies, in effect the FLSC is presuming to dictate to law schools, whether they are in Canada or elsewhere, what to teach law students. Law schools have an academic mission that is distinct from the mission of law societies. One of the fundamental responsibilities of law schools, among others, is to help our students, through a variety of perspectives and pedagogical approaches, to think critically about both law and the legal system. However, the idea of critical thinking barely appears in your list of competencies. Rather, the goal seems to be to ensure that students are ‘practice ready’ in a highly technical sense. In keeping with the idea of a continuum of learning, law schools acknowledge that their programs lay an important foundation for legal practice across the range of knowledge, skills and values required for competent lawyering. But law schools do not confine themselves to that foundation and can only go so far in that direction. The foundation laid in law schools enables graduates to be ready to transition to practice, but it does not seek to make them practice ready in the narrow and limited sense spelled out in the draft Competency Profile. In our opinion this is an attempt to unilaterally change the objectives and operations of law schools, specifically by downloading the long-standing responsibilities of the legal profession for transitional practical training to them.
Third, the outlining of 11 domains, each with multiple sub-competencies, will generate numerous problems:
- If the profile, and all its details, is applied to law schools, it will dictate nearly the entirety of law school course offerings. Students will have to enroll in a substantial number of mandatory courses in all years of study. As such, the profile will limit student choice vis-à-vis their course selections. If students have to fulfill these competencies, there will be little room for them to explore the wide variety of offerings, both substantive and pedagogical, currently available at Canadian law schools. For example, in recent years, in response to student demands, many law schools have begun offering specializations/certificates in certain areas of law. To attain such a certificate, students are required to take a designated number of credits in a given field. This will be impossible to achieve if they must comply with the competency profile as it is currently designed.
- The competency profile itself presumes a uni-dimensional lawyer, because the focus seems to be to prepare lawyers for a traditional vision of generalized solo practice. Solo practitioners are an extremely important part of the legal profession and are often on the front lines of access to justice. However, even solo practise is highly heterogenous and increasingly specialized, and of course many law school graduates do not pursue this practice route at all. They join larger firms, become government lawyers, work in-house, and so on. Moreover, in all of those practise environments there is constant change in legal substance, processes and approaches – which are the focus of the competencies – whereas the deeper capacity for critical thinking, to which law schools are oriented, is an enduring requirement.
We agree that there should be support for lawyers who seek solo practice, and that law schools can play an important role in establishing foundations for solo practice. But law schools must limit themselves to that foundational role, while also providing a foundation for a broader spectrum of practise environments and in relation to the broader range of contexts in which our graduates may engage.
- The competency profile will stymie innovation and modernization of law school curricula. Law schools are very much aware that law and the legal profession are in transition locally, nationally, and internationally. We constantly assess and rework our course offerings to ensure that our students have a legal education that is relevant to a rapidly changing world. The micromanagement and inherent rigidity embedded in the competency profile is ill-suited to such a fluid and forward-looking understanding of the nature and function of university-based legal education.'
- The competency profile will result in a cookie-cutter approach to legal education, whereby each law school will have to offer a roughly similar curriculum. In recent years we have witnessed the increasing diversification of Canadian law schools, as each has pursued its own vision. Rather than embracing this diversity, the profile promotes uniformity and demands conformity.
- The channeling of students into a significant number of mandatory courses will dramatically impair joint academic programs between law and other disciplines such as computer science, Indigenous studies, social work, the humanities, engineering and business administration. It will also negatively affect the potential for students to spend a term on exchange at a university in another country. Both joint programs and exchanges depend on students having a reasonable amount of flexibility in their choice of courses.
As we have noted earlier, we envision the relationship between the law societies and universities to be collaborative and co-operative. To this end we suggest that the next steps should be 1) to create a new level one profile that better encapsulates the objectives of academic legal education and is the product of a partnership between law schools and the law societies and 2) to merge what is currently level 1 with level 2 and ensure that the law societies provide adequate transitional education opportunities prior to the call to the Bar, including, where appropriate, through collaboration with interested law schools (such as through the integrated practise program available in Ontario). Furthermore, in pursuit of the goal of life-long learning, we would also encourage for law societies, perhaps in partnership with law schools where appropriate, to design and deliver robust mandatory continuing professional development programmes.
We trust that this submission will provide a more specific articulation of the concerns of CALT and look forward to further consultation with the FLSC.
Richard Devlin & David Wiseman,
On behalf of the Executive of CALT/ACPD
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